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Discours de Pascal DURAND, prononcé lors du Conseil fédéral du 23 juin 2012

Il est de tradition de commencer un discours d’investiture par un hommage appuyé à celles et ceux qui vous ont précédé ou qui vous ont permis de postuler.

Qu’il me soit permis de démontrer qu’une fois encore les écologistes ne font rien comme les autres.

Je souhaite dédier mon discours à un peuple sacrifié sur l’autel du productivisme, d’une économie carbonnée construite à base d’énergies fossiles et d’un reniement sur une lutte contre les émissions des gaz à effets de serre pour satisfaire les intérêts des grands groupes pétroliers : le peuple guyanais.

La délivrance d’un permis d’exploiter une putative ressource fossile enfouie à 6000 mètres sous les profondeurs d’un océan situé au large des côtes de la Guyane porte atteinte, dans son principe même, à tout ce que les écologistes défendent, le respect de la mer, de la biodiversité et plus largement du vivant contre la loi du profit au mépris des risques. Pourtant, lorsque les Sénateurs écologistes sous la houlette de Roman Dantec ont organisé au Sénat un colloque préparatoire à Rio+20, j’avais entendu les mots prononcés par la Ministre de l’écologie. Ils étaient les nôtres :

• contestation dans ses fondements du modèle de développement dominant,

• refus de la facilité de la seule référence au terme fourre-tout du « développement durable » pour porter un « nouveau modèle »

• évocation de la nécessaire transition écologique

• mise en place d’une fiscalité innovante reposant sur un nouveau partage et d’une nouvelle solidarité.

Ces engagements doivent avoir une concrétisation ; Il faut passer des mots aux actes et c’est cela que nous attendons de chacune et de chacun des politiques en responsabilité.

Je ne fais naturellement aucun procès d’intention à Madame Delphine Batho, nouvelle ministre de l’écologie, qui prendra certainement à coeur son ministère. Toutefois, la politique est souvent affaire de symbole, l’histoire du socialisme et plus largement de la gauche nous le rappelle. Passer sous les fourches caudines de groupes pétroliers attachés à leur seul profit, eux que la destruction de la planète indiffère, augure mal de a capacité de certains dirigeants à modifier leur logiciel et leur grille de lecture du monde et il faut savoir le rappeler en ce lieu.

A travers l’illustration de ce triste fait, il me revient en mémoire une citation d’un auteur qui lui aussi, sans être guyanais, était originaire des territoires français d’outre-mer, Aimé Césaire, rappelé dans un formidable ouvrage de Majid Rahnema et de Jean Robert : « la Puissance des pauvres ». « On me parle de progrès, de réalisation, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes ».

Moi, je parle des sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées. (…) d’extraordinaires possibilité supprimées. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. […] Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières […]

Je fais l’apologie systématique des sociétés détruites par l’impérialisme. Elles étaient le fait, elles n’avaient aucune prétention à être l’idée, elles n’étaient, malgré leurs défauts, ni haïssables, ni condamnables. Elles se contentaient d’être. Devant elles n’avaient de sens ni le mot échec, ni le mot avatar. Elles réservaient, intact, l’espoir.

Il est bon lorsque l’on s’exprime, de dire d’où l’on parle. Si je viens de citer Aimé Césaire, c’est parce que ses propos illustrent de manière lumineuse les chemins qui m’ont conduit à l’écologie politique et qui me permettent aujourd’hui de me présenter sans rougir et sans honte, à vos suffrages. Le chemin de l’écologie politique est passé pour moi par une révolte fondatrice : celle des peuples opprimés par une spoliation colonialiste ou néo-colonialiste, par l’oppression de leurs cultures, la répression de leurs libertés et le pillage systématique et effréné des ressources présentes sur leur terre. Ce point de départ, qui fut celui de mon engagement de collégien aux côtés du grand René Dumont dans sa campagne présidentielle de 1974, a profondément modifié ma vision de la fraternité et de la solidarité.

La Fraternité, ce beau principe développé au 19e siècle, afin de permettre à la liberté de ne pas dégénérer en individualisme et à l’égalité en injustice ou iniquité. Cette Fraternité qui conduit les écologistes à se sentir solidaires du vivant, de tout le vivant. C’est elle qui nous fait sortir d’une vision anthropocentrique restreinte aux seuls rapports entre êtres humains. J’ai conscience en disant cela, de passer aux yeux de certaines et certains, pour un mystique.

Mais soyez assurés qu’il n’en est rien ; je pense simplement, à l’instar d’Elisée Reclus, que « l’Homme, c’est la Terre qui prend conscience d’elle-même », Que nous sommes partie prenante du monde qui nous entoure, celui de notre planète, de notre écosystème ; qu’il n’y aura pas d’avenir civilisationnel sans une nouvelle éthique qui intègre cette dimension globale, qui ne nie pas la finitude des ressources au nom d’une idéologie destructrice, celle de la croissance, et qui comprenne que la société du profit et de la compétition, sapent les fondements mêmes de notre humanité. Qu’il soit juste ici rappelé à quel point les notions de progrès et de développement sont à revisiter et que le rôle « historique » des écologistes consiste à porter ce débat dans une société dans laquelle nous sommes les seuls à nous opposer au « mainstream » et à son modèle économique et financier.

Notre défi est de parvenir à être entendus et respectés bien sur pour les valeurs et les idées que nous défendons, aussi pour les alertes que nous lançon inlassablement, mais au-delà et parce qu’il y a urgence, pour les solutions que nous portons. Ce défi est considérable mais c’est pourtant celui qui nous est lancé et pour lequel je vous demande que nous fassions le chemin ensemble. Ma candidature ne s’inscrit pas dans une logique de personnalisation. Il ne s’agit pas de voter pour moi sur des critères affectifs, ami- caux ou parce que j’ai participé à l’aventure d’Europe Ecologie depuis son origine.

Bien sûr qu’une légitimité est le fruit d’un parcours et souvent d’une certaine cohérence entre le discours et les actes. Mais ça n’est pas sur cette équation personnelle et semble-t-il plutôt consensuelle, que je vous demande de voter. C’est sur le projet collectif que nous allons élaborer toutes et tous ensemble, avec nos différences, nos histoires, nos divergences parfois, que le mouvement de l’écologie politique doit continuer sa route. Il est des moments où l’on sait que seul le collectif est source de réussite ; que le talent, le travail, l’engagement, lorsqu’ils ne sont pas mis au service de la collectivité, se perdent dans les profondeurs de l’inutile. Europe Ecologie, dans lequel les Verts ont pris évidemment toute leur part, a été fondé sur une logique d’ouverture, de respect de la diversité, dans le débat d’idées, et un certain bouleversement des codes des partis politiques traditionnels. Cette histoire nous l’avons partagée et la dynamique crée, au-delà du succès électoral, au moment des Européennes, puis des Régionales, doit nous servir de guide sur ce qu’il est possible de créer autour des idées de l’écologie politique et de notre vision de l’Europe.

* * *

Nous sommes à un moment paradoxal de l’écologie politique. Nous disposons depuis quelques jours, et pour la première fois, d’un groupe autonome composé de 17 députés à l’Assemblée Nationale, nous disposons d’un groupe au Sénat depuis l’année dernière, et depuis longtemps d’un groupe Vert au Parlement européen. Nous qui défendons depuis toujours une nouvelle république fondée sur la démocratie représentative et parlementaire, opposée aux dérives présidentialistes de la Ve République, nous devons évidemment nous réjouir et être fiers de cette représentation et de la capacité qu’elle nous donne d’agir dans le cadre des institutions républicaines et européennes. Nous pourrons grâce au talent et à l’énergie de nos parlementaires, comme il le font en Europe depuis plusieurs années, participer aux travaux et à l’élaboration de l’ordre du jour, voire diriger certaines commissions, proposer des lois, bref, faire vivre la démocratie que nous défendons.

Parallèlement à cette entrée dans les institutions, deux Ministres sont entrés au gouvernement en charge, non pas du Ministère de l’écologie, mais de secteurs clés pour les écologistes, l’aménagement du territoire, le logement, la ville et le développement. Au sein d’une nouvelle majorité, qui dispose également d’une capacité d’action en région et dans de nombreuses villes, nous avons la responsabilité majeure d’y porter les actes fondateurs d’une transition écologique démocratique. Certes le mode de scrutin et le fait majoritaire nous contraignent pour parvenir à ces responsabilités nouvelles, de construire un partenariat, mais celui-ci nous obligent à instaurer un espace d’échange constructif avec le parti socialiste et ses représentants. Cette obligation qui nous ait faite de convaincre des partenaires, parfois rétifs, à ce nouveau modèle est source nécessairement de tensions, mais également de créativité. Nous voilà contraints d’affuter au niveau parlementaire, comme nous le faisions déjà en région ou dans les communes, nos arguments pour les confronter au monde majoritaire, dans lequel nous prenons notre part active.

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Pour autant, ce succès – incontestable – et cette nouvelle donne institutionnelle qui ouvrent une nouvelle ère pour l’écologie politique, ne doivent pas nous entrainer dans une sorte d’extase euphorique. Cette entrée institutionnelle et certaines pratiques, ainsi que le cortège médiatique qui l’ont accompagné, ont un coût : celui d’une démobilisation et d’une inquiétude de la base militante et celui d’une certaine décrédibilisation dans la société. Il ne s’agit pas pour moi de contester les choix politiques que ce Conseil Fédéral a votés de manière extrêmement clair et que j’ai soutenus, mais il faudrait être aveugle ou sourd pour ne pas entendre ou voir les critiques qui nous sont faites d’une dérive politicienne, d’une lutte égotique pour les postes, pratiques qui renvoient à l’arrière plan la lutte pour les idées et le projet. Je sais, pour le vivre au quotidien, que cette image est souvent fausse et injuste ; que tant les dirigeants, que les militant-es, portent, jour après jour, avec abnégation et conviction dans la société – et pas simplement dans les institutions – le projet, les combats et les solutions de l’écologie politique.

Mais je sais aussi que certains passages médias, que certaines déclarations publiques détruisent en quelques secondes, ce travail de fond et que cela nous est difficilement pardonné, y compris par nos propres ami-es. Or, nous ne parviendrons jamais à donner à l’écologie politique la place qui doit être la sienne au XXIe siècle si nous nous coupons des mouvements sociaux, des associations, et plus largement, de la société. Nous ne pèserons rien dans les institutions, si derrière nos représentants, nos ministres, nos parlementaires, la société dans son expression collective, n’est pas prête à porter à nos côtés, les solutions écologistes. Pour que l’écologie politique puisse porter ses valeurs fondatrices chères à Alain Lipietz, l’autonomie, la responsabilité et la solidarité, elle doit être en capacité d’agir. Elle doit être forte de son imprégnation dans la société, comme le pacte écologique, l’alliance pour la Planète et le Grenelle de l’environnement ont su de manière différente, l’illustrer.

Il est temps, il est plus que temps, de sortir d’une écologie faite de certitudes, qui n’entend parler qu’à elle-même ou aux convaincu-es. La nouvelle étape de l’écologie politique, celle du dialogue et de l’interpellation avec la société dans son ensemble, y compris en ce qu’elle a de plus contraire ou de plus opposé à nos propres valeurs, doit radicalement tourner le dos à l’entre-soi. La tolérance, le respect de la diversité et de l’autre, la modestie sont aussi des valeurs fondatrices de l’écologie. Pour progresser, que ce soit électoralement ou en base militante, il n’y a d’autre recette que de convaincre celles et ceux qui, à ce jour, ne sont pas écologistes. C’est à elles et à eux qu’il faut s’adresser, sans arrogance, mais avec respect et conviction, pour entendre ce qu’ils nous disent de l’écologie politique et comprendre ce que nous pouvons concrètement apporter à la société.

De mes cours de philo il me reste un souvenir de morale « kantienne », qui se déclinait en : « que nous est-il possible d’espérer ? » Alors je vous pose la question, je ne vous demande naturellement pas d’y répondre aujourd’hui : que nous est-il possible d’espérer pour notre mouvement dans les mois et années qui viennent ? Comment construire ce nouveau cycle qui doit concilier le travail dans les institutions et faire vivre notre autonomie.

Il s’agit là d’un défi considérable que nous ne relèverons pas sans modifier de vieilles pratiques et bousculer nos certitudes.

Pour ma part, je prends et j’assume cette responsabilité en vous disant clairement, que si vous m’élisez aujourd’hui, je ne serais pas le Secrétaire national d’un courant, d’un clan ou d’une coterie ou d’une majorité permanente contre une minorité. Je souhaite mettre en œuvre le principe selon lequel il est des intérêts collectifs qui dépassent les intérêts catégoriels et que ce mouvement, dans les mois qui viennent, ne parviendra pas à s’émanciper des contraintes ou des contradictions qui pèsent sur lui, si à un moment donné, il n’est pas en capacité de dépasser les logiques partisanes.

Je serai donc, comme cela avait été écrit à La Rochelle dans une motion de synthèse que j’ai eu le plaisir de présenter, le secrétaire national de tout le mouvement, sans me positionner en termes de sensibilités majoritaires ou minoritaires.

A cet instant précis et pour qu’il ne subsiste aucune ambiguïté, si vous m’élisez, mon premier acte fondateur sera de démissionner de ma sensibilité. Cette rupture symbolique, est l’illustration de la feuille de route que je vous présente, celle de construire des majorités d’idées autour de nos valeurs et de le faire lorsque cela sera possible sur la base du dialogue et du consensus. C’est la raison pour laquelle, dans le respect des territoires, ce qui est pour moi primordial, je voudrais que mon mandat commence par la mise en œuvre de conventions territoriales qui devront aboutir à une grande convention nationale vraisemblablement au début de l’année prochaine, dans laquelle nous définirons les perspectives qui s’ouvrent à l’écologie politique pour les années qui viennent.

Et je souhaite clairement dissocier ce grand débat de fond, indispensable, d’une lutte pour la répartition des postes, des querelles de personnes, qui sont inhérentes, qu’on le veuille ou non, aux « pures » logiques de congrès. Mais je dis également, afin qu’il y n’ait là non plus aucune ambiguïté, que j’estime nécessaire et légitime de définir dans un congrès, les majorités qui permettront de mettre en oeuvre les orientations collectivement définies. Cela devra se faire dans un temps rapproché entre le débat de fond et le congrès et je fais confiance au Conseil fédéral, pour définir, dans sa grande sagesse, les dates qui seront opportunes pour ces futures échéances tant sur les conventions territoriales et nationales, que sur le congrès. Ma candidature je la veux comme un contrat, entre vous et moi et l’engagement que je souscris, si je suis élu, sera d’être le garant de la tenue de ce grand débat démocratique.

Nous ne devrons rien dissimuler, ni de nos errements passés, ni de nos acquis, ni de nos doutes. Nous devrons nous faire confiance et faire en sorte que chaque militant-e ou sympathisant-e se sente impliqué-e etentendu-e dans un échange collectif qui ne devra être privatisé par personne. Il devra couvrir tous les champs de l’écologie politique, son identité, son rapport à ses partenaires, ses stratégies d’alliance, son cadre européen et national et territorial, sa forme organisationnelle, son fonctionnement et ses pratiques. Il devra impérativement porter un retour critique sur la période ouverte depuis les Assises de Lyon et les campagnes qui l’ont suivi. Nous devrons sortir de ce que Patrick Viveret nomme « la maladie du mal à dire », nous devrons apprendre à échanger dans nos réunions, sur nos listes, sans nous injurier, sans nous excommunier, mais avec la volonté de construire ensemble. Je mettrais en place autour du bureau exécutif, du Conseil fédéral, du COP et des salariés du siège, une direction véritablement collé- giale, je ferais en sorte que le travail des commissions soit respecté et valorisé et je veillerai à la professionnalisation des salariés du siège, qu’il sera sain de tenir à l’écart des luttes de personnes ou d’influence.

Il faudra mutualiser les différentes réussites ou les débats qui ont lieu dans les régions et qui ne sont pas partagés par les militants, faire connaître et partager le travail des élus locaux, améliorer le lien avec la FEVE. Il faudra que les mots de « formation » et « d’information » aient un sens dans ce mouvement qui accueille souvent avec peine et sans outils véritables, les nouveaux arrivants. Je serais également garant du fait que le mouvement continuera à travailler et à enrichir son projet collectif pour qu’à chaque élection, on ne reprenne pas tout à zéro, et que l’on se serve des bases existantes, comme évidemment notre projet « Vivre Mieux » qui devra être enrichi au fur et à mesure. Il faut que nous continuions à travailler pour développer la coopérative écologiste, même si à ce stade, elle a du mal à naître ; elle est vraisemblablement l’un des outils qui permettra dans l’avenir à l’écologie politique, de pénétrer la société civile et de s’en nourrir, pour se dépasser. A ses cotés, nous devrons lancer et aider au développement de la Fondation de l’écologie politique et faire le pari de l’avenir en aidant les jeunes écologistes à trouver leur place dans cette nouvelle dynamique.

* * *

Albert Camus, dans une formule célèbre, avait parfaitement anticipé la nouvelle responsabilité qui pèse sur nous : « Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde. La tâche de la mienne est peut-être plus grande encore : elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse ».

Quel plus beau défi nous est offert et comment pourrions-nous ne pas le relever, que d’être la force politique, qui au XXIe siècle, porte et réinvente le bien commun et la solidarité, celle qui fait que nul dans le monde ne reste abandonné à ses privations et à ses souffrances, alors que d’autres gaspillent, s’enrichissent, exploitent et détruisent. La démocratie des oubliés ne sera jamais la nôtre, les écologistes porteront toujours l’honneur et la dignité des opprimés.

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