la tribune libre

Chronique de la fin d’un monde / 3

Période 1 - début mars 2020

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (Jean de La Fontaine - Les animaux malades de la peste)

Début mars
A Mulhouse, suite à une semaine de prière et de jeûne organisée par une église évangéliste, rassemblant 2000 personnes mi-février, il y a tout d’un coup plusieurs contaminations, et le 7 mars, les écoles sont fermées pour éviter que le virus ne se répande via les enfants. Les magasins se vident, les gens s’inquiètent.
On parle de foyers de contamination ici et là sur le territoire, et du besoin de remonter la chaîne pour retrouver le patient 1, et même tenter de reconnaître le patient 0, celui par qui le malheur est arrivé dans un endroit donné. On appelle ça des clusters.
Je fais confiance aux autorités sanitaires, elles connaissent leur boulot.
Autour de moi, on commence à s’y intéresser pour de bon, car la radio et la télé ne parlent plus que de ça : il apparaît que le virus est très contagieux, beaucoup plus que la grippe, mais surtout qu’il est 2 à 3 fois plus rapide que celle-ci.
Jour après jour, de plus en plus de patients sont admis dans les hôpitaux, et on évoque sérieusement le fait que notre système de santé puisse lui aussi, comme celui d’Italie, être débordé.
Les images venant de Lombardie sont effrayantes, les médecins disent qu’ils doivent trier les malades, et ne plus admettre les personnes après un certain âge. Les gens âgés vont donc mourir plus vite. Comment se fait-il que l’Italie en soit là, on est en Europe, non ?
D’ailleurs, qu’est ce que c’est, au juste, ce virus ? Comment se transmet-il ? On cherche à comprendre son mode de contamination : il y a les gouttelettes et le contact. Mais reste-t-il dans l’air ? On nous dit qu’il tombe par terre s’il y a plus d’un mètre entre deux personnes. D’accord, mais combien de temps le virus reste-t-il posé sur les objets ? On plaisante sur son appétence pour les métaux, donc le risque lié aux pièces de monnaie, aux barres chromées des bus, métro et train, mais aussi les autres surfaces lisses : tables, papier, etc., et on se demande en riant comment on va voyager en transport en commun, s’asseoir sur une terrasse de café, ou bien ouvrir son courrier sans risque, si c’est si dangereux. En même temps, on se dit qu’il y a peut-être, sans doute même, de l’exagération. On n’est pas en Italie : peut-être que notre sympathique voisin a été imprévoyant.
En France, ça ne peut pas être pareil.

Ici, à Castres, ça paraît si loin, on n’a que 4 cas déclarés dans tout le Tarn.
Cependant on prend l’habitude de respecter les gestes-barrière que les services de santé nous préconisent, il vaut mieux être prudent, finalement, ça ne mange pas de pain : on ne se fait plus la bise, quoique certains copains ne le comprennent pas, et se moquent ; on fait attention de se laver de plus en plus les mains, et j’ai une copine qui se nettoie les mains régulièrement avec son gel, d’une façon que je juge un peu ostentatoire, mais elle a peut-être raison.
Il y a des annonces nationales : rassemblement interdits au-delà de 5 000 personnes, puis rapidement, au-delà de 1 000 personnes : les spectacles sont annulés, et les matchs importants se joueront à huis-clos. Je pense aux intermittents qui vont perdre leurs cachets, déjà qu’ils ont été sérieusement impactés il y a quelques années avec les règles draconiennes, alors qu’ils nous donnent de la joie, nous font rêver.
Ça devient vraiment grave, vraiment triste, vraiment bizarre !
Est-ce si contagieux qu’il faille en venir à réduire les activités culturelles et sportives, qui ne font de mal à personne, qui ne font que du bien ?
En quelques jours, les magasins se vident, les restaurants aussi. Comment ces professionnels, ces petits commerçants vont-ils s’en sortir ?

Le 7 mars, il y a 100 000 cas dans le monde, dont 3 500 morts, sur 94 pays, et 1 000 cas en France, dont 16 morts.

A Mulhouse, la fermeture des écoles et des magasins non indispensables à la survie est décrétée, et les hôpitaux commencent à être engorgés, là et dans tout le Grand-Est.
Que se passe-t-il ? Je n’y comprends rien.
Ici, comme ailleurs sur le territoire français, il y a interdiction de visiter les personnes âgées dans les Ehpad. Il paraît qu’ils dépriment, qu’ils ont peur de mourir seuls, loin de leur famille.
Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, moi non plus.
Je vais voir ma mère dans sa résidence, car il n’y a pas de restriction, vu qu’elle est chez elle dans son appartement, mais je me tiens à distance, et je fais toute la vaisselle du repas, pour qu’elle ne touche pas mes couverts, mon assiette. Je me dis qu’il faudrait tout de même acheter ce fameux gel, mais les pharmacies sont en rupture de stock, ainsi que de masques. Pourtant à la radio, à la télé on nous dit que les masques ne sont utiles que pour les personnes symptomatiques. Il paraît qu’on peut fabriquer soi-même du gel : j’achète donc les ingrédients nécessaires.
Comme j’achète aussi du paracétamol, la pharmacienne me dit qu’elle est obligée de restreindre le nombre de boîtes, car elle a été dévalisée par des personnes qui en prennent de grosses quantités à la fois. D’ailleurs, s’il n’y a plus de gel et de masques, c’est que certaines personnes se sont ruées dessus en quelques jours. J’apprends aussi, par un article, que les gens, déjà en Chine, mais aussi en Europe, se jettent sur le papier toilette : un sociologue dit que le PQ est un marqueur de modernité, et que cette sorte de fin des temps que nous vivons réveille chez certain-e-s des peurs ancestrales et irrationnelles, qui se manifestent alors par l’angoisse de ne plus faire partie des élus du monde moderne.
Il commence à y avoir déjà des achats compulsifs dans les supermarchés, concernant les produits de base. Les autorités ont beau leur dire qu’il n’y aura pas de rupture d’approvisionnement, ils ne le croient pas, car, selon un autre sociologue, ils n’ont plus confiance dans la parole du gouvernement, ayant le sentiment d’avoir été trop trahis. Alors ils se goinfrent.

Le 11, l’OMS déclare que le Covid-19 est une pandémie.
Le 9, la Bourse entame sa chute.
Panique à bord en Europe : Angela Merkel dit qu’à ce stade, on ne change pas les règles du jeu des déficits européens, mais que l’Allemagne va débloquer 350 milliards d’Euros pour soutenir les entreprise. Elle annonce aussi que sans doute 80% de la population allemande sera infectée.
Je me dis que j’ai mal entendu.
Je regarde sur internet. C’est bien ce qu’elle a dit. Comme elle a une formation scientifique, elle doit connaître savoir ce qu’elle dit. Je commence à y regarder de plus près. Grâce à une émission en ligne à laquelle je suis abonnée, je vois un titre qui éveille mon attention : « Deux médecins qui parlent vrai » : un chef de service en neurologie à la Pitié-Salpétrière, et un médecin-réanimateur belge. Ils sont formels : un ouragan arrive, mais comme le ciel est encore bleu, on n’y croit pas. Il faut absolument éviter le pire, car le virus se propage de façon exponentielle, c’est à dire en doublant le nombre de cas d’un jour à l’autre. En plus, il paraît qu’il y a beaucoup de porteurs sains, qui ne tomberont pas malades, mais qui peuvent le transmettre
Avec ma calculette, je tente de comprendre : s’il est si contagieux, ce petit diable, et que 80% de la population française est infectée, ça fait 48 000 000. Mettons que 20% de ceux-là développent la maladie, ça fait environ 10 000 000. Et s’il y a 10% de formes graves, ça fait 1 000 000. Et s’il y a 2% de décès, ça fait quand même 200 000 morts. Deux cent mille morts !
Non, il doit y avoir une erreur, ou alors il se passe quelque chose d’absolument géant...

Les rassemblements sont interdits au-delà de 100 personnes.
On y est, notre vie est chamboulée pour de bon.

A suivre

Eveline GRIEDER

P.-S.

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